Parenthèse libanaise
Beyrouth by foot…
Avec tout ça, nous avons un peu oublié la vie quotidienne, qui nous rattrape : Béatrice rentre à Paris, le boulot attend Olivier et Catherine. Je vais poursuivre seule mes découvertes, après quelques jours plus calmes, passés à bouquiner sur le balcon : eh, c'est les vacances, non ?
D'abord, j'ai envie d'explorer Beyrouth, que nous avons souvent traversé en voiture pour aller ici ou là, mais sans vraiment nous y arrêter pour autre chose qu'y manger certains soirs. Et une ville, pour me l'approprier, l'apprivoiser, j'aime l'arpenter à pied, avec juste une carte, pour le cas où je me perdrais vraiment trop, quelques sous en poche pour boire un café quand l'ambiance s'y prête, et un appareil photo, au fond du sac, pour le plaisir, et pour raconter une histoire au retour. Une première pour moi, je vais emprunter les taxis collectifs, les " services ", voitures plus ou moins brinquebalantes et défoncées, qui klaxonnent dans les rues jusqu'à avoir fait le plein de clients (cinq personnes, plus le chauffeur : une vraie boîte de sardines). Le truc, c'est qu'on n'indique pas un nom de rue, mais un quartier, ou un point de repère. Personne, ici, ne connaît les noms des rues, à part celles de son quartier, et encore…
Bon, facile quand on connaît bien une ville, nettement moins quand on débarque : le premier soir, la nuit tombée, j'ai mis cinq bonnes minutes à comprendre où m'avait lâchée le service, alors que j'étais à deux pas de là, mon point de repère à moi. Oui, mais elle n'était pas éclairée, ma tour, alors je ne l'ai pas reconnue… On se sent bête, parfois. Ça ne m'a pas empêchée d'explorer la ville, bien au contraire : mieux je m'y repèrerai, moins je m'y perdrai, c'est le B-A-BA du routard averti, non ?
J'ai marché, marché, arpenté la ville, erré dans le vieux quartier chrétien d'Achrafiyé, avec ses maisons ocre à l'architecture italienne XIXe, son université et ses cafés branchés, ses restos chics et ses boîtes à la mode. Une sorte de condensé, pour les Parisiens parisiannistes de Bastille, Oberkampf, le Marais et les Champs : bizarre, bizarre… Et autant l'ambiance peut être calme dans la journée, avec ses arbres, ses jolies maisons un peu décaties et ses rues étroites (un cachet certain, tout ça), lorsque, en somme, les étudiants étudient et que les golden-boys font du fric, autant il s'anime le soir, coincé par les embouteillages et illuminé de néons, la musique se déversant par intermittence sur les trottoirs.
De l'autre côté de la place des Martyrs, chère à la mémoire des tous les Beyrouthins, et aujourd'hui tellement vide, un autre quartier étonnant, le quartier de l'Étoile, également appelé Center Downtown. Ancien quartier populaire, avec une architecture arabe, ancien quartier du souk de Beyrouth, quasiment rasé pendant la guerre, il s'est reconstruit sur ses cendres, et aménagé en quartier semi-piéton. La pierre blonde toute lisse, toute rénovée aligne ses murs le long de belles rues à arcades, toutes lisses, et… toutes vides, du moins pendant la journée. On a un peu l'impression de se balader dans un musée en plein air… Les jolis cafés et les boutiques de luxe alignent leurs terrasses et leurs vitrines, mais l'âme de tout ça s'est déjà échappée, on dirait, même si le vieux souk, en pleine restauration, domine encore l'endroit. Ah, c'est beau, oui, mais un peu froid…
Et puis surtout, entre deux immeubles, des échappées rappellent la réalité de Beyrouth, à deux pas : une ville encore très abîmée et toujours en pleine reconstruction. Le soir, par contre, c'est le quartier des restos chics, où jolies demoiselles et jolis messieurs de la jeunesse dorée se retrouvent entre gens de bonne compagnie : l'illumination des immeubles est d'ailleurs très étudiée et met toute cette belle pierre en valeur.
Derrière l'université américaine, un autre quartier chargé d'histoire et plutôt sympa : Hamra. Sympa, parce que les gens y vivent, et que ça se sent ; on y trouve un peu de tout, des boutiques de chaussures, des banques, des papeteries du coin de la rue, des jeunes filles en jeans, des dames plus âgées aux cheveux couverts, des jeunes, des vieux, la vie, quoi. Bon, l'architecture y est moins charmante qu'à Achrafiyé, ou moins léchée qu'à Downtown Center : c'est plutôt le béton et la peinture qui habillent les murs, ici, à la rigueur le marbre pour les banques. Mais il y fait bon flâner. Et puis, avant (quand on dit avant, ici, c'est avant la guerre), c'était le quartier intellectuel, le quartier de la contestation " de gauche ", avec ses cafés attitrés, comme le Modca, toujours fidèle au poste, servant d'excellents expresso dans une ambiance assez unique, avec ses sièges en skaï orange et ses garçons en veste blanche. Et l'emplacement de sa terrasse, plutôt étroite, offre une vue idéale sur la vie du quartier. Et, entre deux copines venues se retrouver pour déguster un thé, on y voit encore quelques personnes, plus toutes jeunes, un journal très sérieux à la main, plongées dans quelque profonde réflexion.
Et puis, aussi, entre la place des Martyrs et la mer, un quartier en pleine reconstruction (ou en pleine ruines ?), plutôt poignant, et puis les quartiers ouest, plus populaires et plus arabes, fiefs du Hamas, et qui voient fleurir les macarons vert et rouge, quartiers dans lesquels les touristes ne vont à peu près jamais, où les femmes ont les cheveux couverts, où les cafés sont plein d'hommes qui dégustent leurs cafés en jouant à… des jeux.
- Introduction
- Beyrouth entre fantasme et réalité
- L'histoire au coin d'la rue
- Beyrouth'in and out
- La nostalgie de Byblos…
- Entre routes et déroutes…
- Entre pierres et béton
- Une errance de bazar
- Enfin, les cèdres…
- Plongée dans un Sud écorché…
- Beyrouth by foot…
- C'est reparti pour un tour…
- Eh oui, déjà la fin…
Texte : Anne Poinsot
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