Sainte-Hélène, une île de légende
La vie à bord
Des familles d’Hélèniens (les habitants de l’île de Sainte-Hélène qu’on appelle aussi les « saints »), des Africains du Sud et des Anglais du plus pur style, certains en vacances d’autres plus nombreux venant pour leur travail, constituent l’essentiel des quatre-vingt passagers. Parmi ceux-ci, Déon du Plessis, un riche magnat de la presse sud-africaine. Ce Citizen Kane de Johannesburg, dont les ancêtres huguenots sont venus de France, ressemble à Orson Welles. Avec sa femme un peu bouffie par les gin fizz répétés du soir, ils occupent une suite.
Je m’habitue à la musique du moteur, aux vibrations et aux mouvements qui secouent la cabine. Rien à l’horizon, une immense étendue bleue sombre agitée de moutonnements à l’infini. Le personnel de pont installe des chaises longues, des parasols bleu marine, des coussins, sous un soleil austral. À l’heure du thé, servi avec des petits sandwiches et des cakes, je fais la connaissance d’un révérend et de sa femme, originaires d’Afrique du Sud, qui rentrent à Jamestown, la capitale d’île, dont il est l’évêque depuis cinq ans.
C’est son quatrième voyage à bord du RMS. Il pense qu’il n’y aura jamais d’aéroport, et en est soulagé. On frappe à la porte de ma cabine. Un serveur me remet un bristol me conviant à un cocktail, entre 18 h et 18 h 45. Le capitaine ressemble à Hugo Chávez. Il me salue : « Mister Dechammmppsss, how do you do ? ». Les hommes portent veste et cravate, les femmes ont revêtu leurs plus belles robes. C’est classe et merveilleusement désuet, mais bon enfant.
Un jingle délicieusement rétro annonce l’heure du dîner. La salle à manger évoque plus la tradition des transatlantiques que des croisières touristiques. Service raffiné effectué par des employés en gilet rayé, pas de buffet self-service, dieu merci. Nourriture fine et copieuse, arrosée de bons vins d’Afrique du Sud. En cours de traversée, j’observe et je goûte au charme de la vie à bord. Elle prend parfois des tournures insolites comme le spectacle de ces passagers disputant une partie de cricket sur le pont ou du commandant inanimé pour la simulation de l’exercice incendie.
Texte : Bertrand Deschamps
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