Sainte-Hélène, une île de légende
Jamestown en trompe-l’oeil
Le sol est si glissant que je manque de m’étaler en sautant. Je viens de poser le pied sur Sainte-Hélène. Comprimée au fond d’une vallée encaissée, serrée entre deux énormes parois rocheuses comme entre deux mâchoires, Jamestown, la seule ville de l’île, forme un incroyable alignement de maisons aux couleurs vives, qui semblent tout droit sorties d’un dessin animé américain. Des enseignes bien peintes, la poste, la prison, l’église, les deux hôtels, le temps s’est ralenti. Des vieilles Ford et Chevrolet, immatriculées par un simple numéro à deux ou trois chiffres, sont sagement garées au milieu de Main Street.
Jamestown est démodée sans être usée, vieillotte mais en aucune façon misérable. La rue principale fait songer à un village de toile, aux façades en trompe-l’œil. Si le lieu m’amuse, je suis soulagé de ne pas y séjourner. Dans ce genre d’endroit, le voyageur tourne en rond, recroisant indéfiniment les mêmes visages. Le type physique des Hélèniens est insaisissable, je l’ai déjà remarqué à bord du bateau. Mélange d’esclaves noirs, de coolies chinois, de Malais et de Blancs, les « saints » ont la peau café au lait, les yeux verts ou bridés, une chevelure qui rappelle l’Inde. Beaucoup sont tatoués.
Je marche dans la rue principale, en remarquant le « bazar-mercerie » et l’incroyable salon de thé « chez Marlène ». Vitrines inexistantes, un petit rideau de dentelles fait l’affaire. Décidément à Sainte-Hélène, on vit dans un autre temps. En une semaine, j’ai oublié ce qu’était un téléphone portable. Je gravis la fameuse échelle de Jacob Ladder Hill, cet escalier de 699 marches taillées dans le roc de la montagne, qui domine Jamestown étranglée dans sa gorge.
Texte : Bertrand Deschamps
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