On lit et entend beaucoup de choses contradictoires sur le tourisme en Transnistrie : j’y ai passé avec ma compagne 24h durant l’été 2016, voici ce que je peux vous en dire.
Le passage par ce pays énigmatique et surréaliste était une étape clef dans un long périple sans voiture, de Moscou jusqu’à la France, en passant par l’Ukraine et la Moldavie. Notre curiosité était tout particulièrement aiguisée à l’idée de traverser ce no man’s land diplomatique dont les informations glanées à droite à gauche vantaient tantôt la beauté des paysages, tantôt la violence policière et l’enfer dictatorial du quotidien des locaux. En villégiature à Odessa pendant 2 jours, la prochaine étape était forcément Tiraspol, capitale de la Transnistrie. Elle se trouve en effet sur la route pour Chisinau, c’est un passage obligé. Mais nous n’avions pas le moindre indice concret sur comment s’y rendre. Seul des sites comme rome2rio.com, routard.com, wikitravel.org ou quelques blogs éparses annonçaient l’existence de bus et de train, avec des horaires et des fréquences parfois contradictoires ou moisies. Heureusement pour nous, Sergueï, un jeune ukrainien de Kiev en fuite d’un boulot qui l’avait lassé jusqu’à l’os mais qui lui avait au moins permis d’apprendre l’anglais, grignotait des graines de tournesol dans le living de notre auberge de jeunesse. Il s’ennuyait visiblement comme un rat mort et c’est avec plaisir qu’il nous renseigna sur la République Moldave du Dniestr : «Of course I know, I went there once. There is no danger, but there is nothing to see either except some Lenin’s statues and communist stuff. You should drug me to take me there again. » Ok, merci Sergueï pour le teasing, mais comment pouvons-nous nous y rendre ? « It’s very easy, you can take the train, but it’s not everyday, or you take a bus, you have plenty of them, everyday, and you can book your seat online. » Super, nous voila dans la réalité des faits : il existe une dizaine de bus qui partent chaque jour d’Odessa pour se rendre à Tiraspol, avec pour terminus Chisinau ou Ribnitza (autre ville de Transnistrie). Nous avons effectué la réservation sur le site http://ticket.bus.com.ua/
Arrivés à la gare routière d’Odessa d’où partent tous les bus pour la Transnistrie, il fallait faire échanger notre confirmation de réservation en ligne contre un vrai ticket qui nous permettrait de monter à bord. Le bus était une vieille charrue des années 80, immatriculée en Transnistrie. Le chauffeur n’avait rien d’aimable à notre égard, et nous étions visiblement les seuls touristes à bord. En effet, ces nombreux trajets quotidiens entre l’Ukraine et la Moldavie, toujours pleins de voyageurs, semblent mis en place avant tout par les locaux, visitant leur famille ou travaillant dans la région.
Le passage de la douane ukrainienne s’est fait rapidement, avec malgré tout une fouille poussée de nos sacs et une question amusante du douanier : « Mariruana ? ». Non, bien sûr que non monsieur l’agent. Puis ce fut au tour de la douane transnistrienne : un policier souriant, avec une grande casquette marquée d’une faucille et d’un marteau et une chemise verte, est entré dans le bus, pour ramasser les passeports. En lisant notre nationalité, il nous fit signe de descendre du bus, et d’aller voir le bureau de la douane. Derrière une vitre, un policier nous demanda en russe les raisons de notre visite et surtout ce que nous avions réservé sur place pour se loger. J’avais imprimé ma réservation booking.com à l’Hotel Russia pour 1 nuit, ce qui lui suffit pour nous remettre une carte migratoire valable 24h à partir du tampon. Il nous fallait donc quitter le territoire dès le lendemain. Pensez-donc à vous munir d’une preuve de réservation dans un hôtel de la ville. Le bus nous déposa à la gare de Tiraspol, lieu totalement désert et peu rassurant, peuplé de quelques taxis patibulaires et aguicheurs et de chiens errants. Une commerçante nous renseigna et appela pour nous un taxi, ceux de la gare ne nous inspirant guère confiance.
L’hôtel Russia est un très beau 4 étoiles, situé au coeur de Tiraspol, quasiment en face de la mairie et à l’angle de l’avenue principale, la Strada 25 Octombrie. Le personnel d’accueil est charmant (il en devient presque flippant), les chambres spacieuses et propres, le prix tout à fait abordable (50 euros la nuit pour 2). C’est visiblement le plus bel hôtel de la ville, si ce n’est le seul. La dame de l’accueil nous recommanda d’aller au restaurant Mafia, située sur l’avenue principale, à 5min à pied. En cherchant autre chose à se mettre sous la dent, on se rendit rapidement compte du vide commercial intersidéral du centre-ville : nous avions le choix sur cette avenue principale entre un burger house et ce fameux Mafia, restaurant sushi/pizza. On écouta donc les conseils de l’hôtel et on se rendit dans cette chaîne de fast-food que nous avions déjà vu à Moscou. La serveuse nous proposa l’offre spéciale «2 pizzas achetés, la 3ème offerte ». On prit donc 3 pizzas, dont la chèvre-poire, recommandée par la maison. Une demi-heure d’attente plus tard, la serveuse nous dit finalement que l’offre ne tenait plus, ce qu’on accepta. Pour nous, cela voulait sans doute dire que nous n’aurions que 2 pizzas, mais 30 secondes plus tard, 3 pizzas nous étaient servies, et nous étions finalement obligés de payer les 3. Cela ressemblait fortement à une arnaque, mais à 3 euros la pizza, il aurait été stupide de faire un scandale. C’était, voyons le comme ça, le prix à payer pour observer au plus près une magouille touristique bien huilée.
L’avenue principale est assez fascinante, quasiment déserte malgré sa taille gigantesque. Elle conduit au Soviet Suprem, sorte de parlement devant lequel trône une immense statue de Lénine. On y trouvera également quelques curiosités : un cinéma qui passe des blockbusters américains, quelques monuments et statues glorifiants la nation, une discothèque, les ambassades d’Abkhazie et du Haut-Karabagh, un tank et la «banque centrale» qui édite leur pièces de monnaie en plastique. Le marché couvert, de couleur vert pastel, se trouve non loin; il constitue une balade gustative intéressante (de très beaux fruits frais) et contraste avec l’aspect désertique du reste de Tiraspol dans la mesure où les Tiraspoliens y fourmillent. Lorsque l’on traverse le petit pont pour rejoindre la rive sud du Dniestr, on atteint une petite plage assez fréquentée où il est possible de se baigner. Si l’on s’aventure plus loin dans les terres de la rive sud, on ne trouve plus qu’une végétation luxuriante et des habitats précaires en tôle, à quelques centaines de mètres du «centre-ville». Enfin, on peut également mentionner le parc Kirov, l’Université de Tiraspol et la fabrique de cognac national KVINT, qui sont des lieux tout à fait dignes d’intérêt, très révélateurs de l’ambiance fascinante et pesante qui règne dans cette ville. Tout ces lieux se situent dans une ère géographique petite, pouvant se parcourir à pied.
Un aspect frappant de Tiraspol est le monopole économique de l’entreprise Shériff : stations essences, salles de sport, équipe de footbal, réseau mobile et internet, hypermarchés, cognac Kvint … Vous pourrez même vous ramener une casquette du FC Shériff Tiraspol en souvenir si le coeur vous en dit. Tel dans un ville du far-west, tout semble appartenir à ce même groupe transnistrien possédé par le richissime Victor Gusan, un ancien du KGB et proche du pouvoir en place (http://sheriff.md/). Ainsi fonctionnent l’économie et la politique du pays, comme une sorte de mafia monopolistique, rappelant curieusement le nom du principal restaurant du centre-ville.
Nous n’avons subi aucun trouble, ni avec les autorités, ni avec les locaux, tout en faisant preuve d’une vigilance frôlant parfois la paranoïa et probablement pas nécessaire. Ce séjour à Tiraspol a finalement constitué un réel enrichissement historique, géopolitique et romanesque, avec parfois le sentiment d’être Tintin en Bordurie. La sortie du pays se fait sans encombre. Plusieurs bus partent chaque jour de la gare de Tiraspol vers Chisinau et Odessa, et le passage par la douane fut une formalité tant que nous pouvions présenter notre carte migratoire et que nous respections le délai de 24h pour quitter le territoire. Délai d’ailleurs suffisant pour appréhender dans les grandes lignes l’univers transnistrien.