Vous ‘savez de quoi vous parlez’, bien sûr… Je ne mets en doute ni votre expérience, ni votre ressenti, qui est évidemment légitime. Mais essayez, pour être tout à fait impartial, de vous mettre quelques secondes de l’autre côté. Les touristes se disent : “Après tout, j’apporte beaucoup d’argent en Thaïlande, j’apporte des devises, je contribue à l’élévation du PIB, je fais vivre des pans entiers de l’économie”, etc., et c’est vrai. On estime la part du tourisme à plus de 10% du PIB. Mais avez-vous songé que cet argent ne profite qu’à une infime partie de la population, celle qui, justement, vit du tourisme, c’est-à-dire, pour l’essentiel, des secteurs hôtellerie, restauration, agences de voyages, excursions, commerces, et margoulins, aigrefins et prostitué(e)s qui viennent se greffer dessus, etc. mais que l’immense majorité des Thaïlandais n’en ont que les désagréments et n’en tirent aucun bénéfice, n’en voient jamais la couleur ? Comme on dirait aujourd’hui, c’est de l’argent qui ne “ruisselle” pas beaucoup en dehors de sa vasque originelle. La Thaïlande reçoit annuellement plus de 32 millions de touristes (chiffre en constante augmentation), qui, pour l’essentiel, se concentrent dans des périmètres extrêmement restreints, entraînant, qu’ils le veuillent ou non, des dégragations irréversibles de l’environnement, des flambées des prix, tant au niveau immobilier qu’à celui de la consommation courante, et surtout, pour les populations autochtones, le sentiment bien naturel de n’être “plus chez soi”. Le même sentiment qu’on retrouve chez les habitants de la côte d’Azur qui n’ont aucun bénéfice à attendre du tourisme, qui n’en subissent que les nuisances, et qui, pour ceux qui le peuvent, fuient leur maison et vont se réfugier chez Tatie Denise dans la Creuse, pendant les mois d’été. Lorsque vous dites “ils”, “eux”, de qui parlez-vous exactement ? De ceux que vous côtoyez, de ceux à qui vous avez à faire, c’est-à-dire de l’hôtelier, du patron du restaurant, du gérant de la guest-house, du loueur de mobylette, de l’organisateur de l’excursion, du mahout qui organise la balade à dos d’éléphant et de l’entraîneuse de gogo-bar. Pensez-vous sincèrement que toutes les femmes de Thaïlande “pratiquent un sport national, celui de mettre la main sur un fareng” ? C’est bien mal les connaître ! Essayez de venir séduire celles qui vivent dans ma petite ville de province qui ne voit jamais l’ombre d’un touriste… Même si je ne mets pas en doute votre charme naturel, c’est pas gagné ! Celles dont vous parlez, ce sont celles qui vivent du tourisme, celles qui guettent le pigeon dans les bars de Pattaya ou de Pukhet. Les autres, l’écrasante majorité, les plus nombreuses, vous ne les connaîtrez sans doute jamais, elles ne vous regardent pas et vous ne les regardez pas non plus lorsque vous les croisez. Celles-là, pour rien au monde, ne mettraient jamais les pieds dans les bars que vous fréquentez, elles ne vous adresseraient jamais la parole, - la plupart ne parlent pas un mot d’anglais - et pour celles-là, même un gentil flirt avec un étranger serait considéré comme une honte dans leur famille (sauf dans les milieux très bourgeois si l’étranger est un acteur américain célèbre).
Les Thaïs ont un sentiment national très exacerbé, une immense fierté nationale. On pensera que c’est bien ou que c’est mal, mais c’est comme ça. Les invasions touristiques sont vécues par beaucoup comme de véritables agressions. Faites-vous traduire les vieilles chansons des Carabao, groupe encore très populaire dans le royaume, et dont beaucoup évoquent le pillage économique et culturel du pays par les étrangers. La plupart des touristes se conduisent bien, c’est vrai, la plupart sont respectueux des gens, des règlements et des coutumes locales. Mais qu’on en compte seulement 2 ou 3% qui s’en fichent éperdument, et c’est une estimation optimiste, sur le nombre (notamment parmi les touristes chinois qui constituent le gros des troupes et qui ont souvent un comportement à la limite du scandaleux), ça fait vite 1 million de visiteurs indésirables qui se pressent sur quelques kilomètres carrés, car le tourisme en Thaïlande est extrêmement localisé sur quelques sites et sur une bande de territoire particulièrement étroite, il suffit de lire ce forum pour s’en apercevoir. Et ceux-là, comme toujours, sont ceux qu’on remarque le plus, et leur comportement suffit à discréditer tous les autres. Comme les 2 ou 3% de commerçants qui vous ont paru indélicats, arnaqueurs ou irrespectueux suffisent à discréditer à vos yeux l’ensemble des commerçants, au point que vous les mettez dans le même sac, en les désignant tous par “eux”, ou “ils”.
En Thaïlande, comme partout, le tourisme de masse est un véritable fléau, qui apporte pollution, destruction des environnements, perte des identités culturelles, flambées des prix, bétonisation des littoraux, gentrification, et parallèlement, délinquance et prostitution. Il détruit Venise, Amsterdam, Barcelone, Palma de Majorque, Ibiza, la Méditerranée, Angkor, Le Mont Saint-Michel, La Corse, Phuket, Koh Samui, et il entraîne des phénomènes de rejets de plus en plus violents de la part des populations qui le subissent sans en profiter… Au fond, dans ce contexte, ce que vous avez vécu est somme toute “normal”, et le touriste japonais aura le même ressenti en visitant Paris, le touriste anglais en se promenant dans Nice au mois d’août, le touriste américain en visitant Venise et le touriste allemand au pied de la pyramide de Gizeh.
Cordialement.