Chers Messieurs du Routard, département Asie
Tout d’abord, il faut que vous sachiez que ma femme et moi voyageons depuis une vingtaine d’année en Asie et que le Guide du Routard figure aux rang des indispensables que nous emportons, quasiment au même niveau que notre passeport, et qu’il ne nous viendrait pas à l’idée, par exemple, de le mettre dans nos bagages en soute au cas où ceux-ci n’arriveraient pas en même temps que nous a destination.
Cela étant dit, nous sommes amoureux de la Thaïlande et nous avons dû nous y rendre tous les ans depuis quelques six ans. Les hasards (heureux) de la vie ont fait que j’ai travaillé pendant neuf mois à Pattaya et, à chaque fois, que j’ai lu votre couplet sur cette ville et votre refus de donner des informations (sous prétexte que vous pensez qu’il s’agit d’une Sodome et Gomorrhe du XXI ème siècle), mon cœur s’est mis à saigner : comment une équipe qui pour moi représentait le discernement et la pondération pouvait-elle se laisser aller à une condamnation aussi arbitraire, à peine digne du touriste lambda qui sous prétexte qu’il a passé trois jours dans un pays pense tout avoir compris des gens, de leur fonctionnement, de leur culture et assène, à son retour, des jugements, définitifs bien sûr, à l’emporte pièce.
Voilà plusieurs années maintenant que nous ne cherchons plus dans votre guide d’informations sur cette ville, préférant nous fier à notre connaissance du lieu et à nos connaissances qui nous indiquent les bons plans à notre arrivée. Mais cette blessure a été ravivée, il y a quelque jours parce que désirant faire une escapade au Cambodge, j’ai lu, dans le Routard de ce pays, à propos de Sihanoukville et plus précisément de Weather Station Hill et de Victoria Beach: « Disons le clairement, dans la rue principale, il flotte désormais un parfum de « petit Pattaya ». Voilà pourquoi nous n’avons pas sélectionné d’hébergement le long de cette rue. »
Je suis surpris que vous vous posiez en censeur face à ce phénomène qu’est la prostitution qui doit exister (de façon plus ou moins visible, je vous l’accorde) à peu près dans toutes les villes - même moyenne, voire sans doute petites - de Thaïlande et du Sud Est Asiatique. Je ne cherche pas à vous concurrencer en créant un guide des « lieux chauds » de la région mais si l’on voulait pousser votre raisonnement au bout, ne pensez-vous pas que Khao San Road à une heure un peu avancée de la nuit ou même le quartier Nana (le bien nommé) présentent a peu près le même « visage » que la Walking Street. Ne faudrait-il pas alors supprimer du guide du pays, Bangkok ou même Paris de celui de la France à cause de Pigalle (et autres quartiers chauds, que je connais moins bien).
Pour continuer, est-il concevable que vous fassiez une sélection des lieux que vous proposez en fonction de ce qui vous agrée ou non. J’ai une autre idée à vous proposer qui présente des similitudes, même si l’on se situe dans un registre différent : ne pensez vous pas qu’il serait bon que vous déconseilliez la visite de Rome aux personnes qui sont athées sous prétexte qu’il y a surabondance d’églises et de bâtiments relatifs à la religion catholique ? Votre concurrent qui parle d’une planet (vous avez compris qu’il n’y a pas de faute d’orthographe) solitaire a choisi une attitude que je trouve plus constructive et pédagogique : bien sûr, ils mettent en garde contre le côté sulfureux de l’endroit mais ils proposent des lieux, des choses à voir, des îles proches, des temples, des restos qui montrent aux lecteurs qu’ils n’y a pas ici que Gogos Bars, boites à plumer le pigeon et salons de massages libidineux.
Car enfin, c’est vous accorder beaucoup de pouvoir que de penser que ne pas citer la ville détournera de ce lieux de débauche, les personnes décidés à s’y rendre. J’avais un ami habitué à fumer des produits interdits à la vente qui disait : « l’herbe, tu y trouves ce que tu viens y chercher » et je dirais que Pattaya c’est un peu pareil et tout le monde n’y vient pas « pour réveiller le petit cochon qui sommeille en lui. » Il y a plus de mille résidents français qui vivent ici et, quand j’y travaillais, en temps qu’enseignant, je côtoyais des familles qui ressemblaient beaucoup à celles avec lesquelles je travaillais en France. De plus, les touristes français qui viennent ici sont légions et il est difficile de croire que tous sont des pervers.
Pour conclure, vous l’avez compris, j’ai essayé d’aborder avec humour un sujet qui me tient à cœur donc, s’il vous plaît, Messieurs du Routard, Département Asie, révisez votre jugement, faites-nous quelques pages sur Pattaya dans un prochain guide où vous proposerez tout ce que cette ville peut offrir d’autre que ce contre quoi vous vous élevez à juste tire et il y a beaucoup de choses à dire. Cela me permettra de vous écrire à nouveau pour vous signifier, peut-être, mon désaccord sur certains choix et vous proposer mieux.
Votre fidèle lecteur,