Histoire et dates-clés Barcelone
Barcelone, la ville d'Hamilcar ?
Barcelone est l'une des plus anciennes villes d'Espagne. La légende chuchote même que c'est Hercule qui l'aurait fondée. Plus sérieusement, on ignore si Barcelone était habitée avant la période romaine, mais certains historient émettent l'hypothèse d'un camp vers 230 av. J.-C. par le Carthaginois Hamilcar Barca (le papa du célèbre Hannibal), sur la colline de Montjuïc. C'est lui qui aurait donné son nom à la ville.
Les Romains fondent en tout cas une ville autour du mont Taber au Ier siècle av. J.-C. : les vestiges de la muraille et des colonnes, dans le Barri Gòtic actuel, montrent que cette colonie nommée Barcino prospérait et tirait ses revenus de la pêche et de la production agricole.
Les invasions
Rome tremble ? Voici les Alamans et les Francs qui arrivent pour chasser ses légions ; entre 260 et 270 apr. J.-C., Barcelone et Tarragone sont dévastées. Pendant 1 siècle et demi, la Catalogne est envahie et occupée successivement par des hordes de « barbares » en provenance du nord ou de l'est ; barbares germaniques (les Suèves) ou originaires d'Asie centrale : Alains, Vandales (dont certains historiens pensent – hypothèse controversée ! – qu’ils ont laissé leur nom au sud du pays, la Vandalousie, l’Andalousie actuelle). Puis les Wisigoths déboulent en 413, repoussant les Suèves vers l’ouest (le Portugal actuel) et les Vandales (dans lesquels s’étaient fondus les Alains) en Afrique du Nord.
En 711, un jeune guerrier berbère, Tarik, franchit le détroit qui désormais portera son nom (Gibraltar, de l’arabe Djebel Tarik, la montagne de Tarik) et entame sa progression vers le nord. En 715, c’est au tour des musulmans de s'approprier Barcelone, en la rebaptisant au passage Barjalonah. Puis Louis le Pieux, fils de Charlemagne, s'empare de la ville en 801. Les Carolingiens établissent un réseau de comtés avec, à leur tête, des vassaux originaires de la région. Barcelone devient une ville frontière dans la marche d'Espagne, cette zone tampon au sud des Pyrénées, destinée à servir de bouclier en cas d'éventuelles invasions.
Naissance d'une autonomie
Attardons-nous sur un personnage important et, pour tout dire, assez rigolo. C’est le fils du comte d’Urgell, nommé Guifré el-Pilòs, c’est-à-dire Guifred le Velu (qui portait remarquablement son nom...). Né en 865, ce joyeux drille conquiert avec ses frères les bastions catalans voisins, dont Barcelone. Il crée de nombreuses fondations religieuses dans la ville et la région.
En 988, Borrell II, comte de Barcelone, décide de rompre avec le régime de vassalité qui le liait jusque-là à Hugues Capet, roi des Francs. C’est le 1er acte d’autonomie catalane ! Son comté agit alors en toute indépendance, en resserrant les liens avec les comtés voisins. Au XIIe siècle, le mariage de Raymond Béranger IV, comte de Barcelone, avec Pétronille d’Aragon donne naissance à la Confédération catalo-aragonaise.
Durant le règne de Jacques Ier (1213-1276), la Confédération devient une grande puissance méditerranéenne : elle annexe en effet Majorque en 1229, Valence en 1238, la Sicile en 1282, la Corse en 1297. Voilà d’ailleurs pourquoi on parle des variantes de catalan dans les îles Baléares et à Valence. Au XIVe siècle, il y aura aussi l’annexion de la Sardaigne (1323) et des territoires grecs d’Athènes et Néopatrie (1387).
Puis Naples tombe dans l’escarcelle de la Confédération. En fait, chaque possession garde son autonomie et ses institutions. Ce qui fait la richesse de la région, ce sont les échanges commerciaux des marchands catalans avec les pays du nord de la Méditerranée, mais aussi l’Afrique et le Proche-Orient. C’est sous le règne de Pierre III le Cérémonieux, à la fin du XIVe s, que se forme la Generalitat, organisme délégué des Cortes (assemblées) : elle exerce des fonctions exécutives en matière de droit, de politique et de finances.
L’autonomie s’est aussi affirmée avec la Reconquête. La présence musulmane fut de courte durée en Catalogne et n’a pas concerné les vallées pyrénéennes. Ces dernières participèrent activement à la Reconquête. Si on a retenu les grands noms, ce furent souvent les seigneurs locaux qui s’illustrèrent dans l’entreprise. Ainsi les comtes d’Urgell, qui reprirent Balaguer, frontière nord d’Al-Andalus.
Le déclin
C’est vers le milieu du XVe siècle que 2 événements historiques marquent le déclin de la Catalogne. En 1469, le mariage d’Isabelle de Castille et de Ferdinand d’Aragon annonce un début d’unité entre les 2 royaumes les plus prospères de l’Espagne, la Castille et la Confédération catalo-aragonaise. Et la découverte de l’Amérique déplace les échanges commerciaux vers l’Atlantique, au détriment de la Méditerranée. Or, la monarchie interdit à ses sujets catalans le commerce avec l’Amérique : ils se trouvent alors exclus de juteuses opérations économiques. Malgré tout, jusqu’à la fin du XVIIe siècle, la Generalitat parvient à maintenir sa souveraineté politique et juridique : la Catalogne conservera jusqu’au début du XVIIIe siècle une monnaie, une langue et un système fiscal propres.
En 1640 éclate la revolta dels Segadors (« révolte des Moissonneurs »), 1er épisode d’une guerre contre le roi d’Espagne qui durera 12 ans et se terminera quand la Catalogne, exsangue, déposera les armes. En 1705, elle est impliquée dans un conflit international : la guerre de Succession au trône d’Espagne.
En effet, à la mort de Charles II, 2 prétendants se disputent la Couronne : Philippe d’Anjou, petit-fils de Louis XIV, et l’archiduc Charles d’Autriche. Les Catalans soutiennent ce dernier les armes à la main, et essuient une sérieuse défaite lors du siège de Barcelone en septembre 1714.
Philippe d’Anjou est intronisé roi d’Espagne sous le nom de Felipe V et instaure le décret de Nova Planta, un ensemble de décrets qui abolissent les structures juridiques et administratives de la Catalogne (le revers de la médaille, lorsque l’on parie sur le mauvais cheval...). Il supprime la Generalitat et érige un énorme fort, la Ciutadella, pour surveiller la ville. Le catalan est interdit dans l’administration, la justice et l’enseignement, au profit du castillan. La Catalogne, bon gré mal gré, est soumise à la monarchie espagnole.
Croissance industrielle...
Malgré tout, une croissance s'amorce, et l'on aménage – à partir de 1753 – le quartier ouvrier de la Barceloneta. En 1778, la levée de l'interdiction de commercer avec l'Amérique stimule l'économie de la ville et de toute la Catalogne. Au début du XIXe siècle, la guerra del Francès (la « guerre du Français », le Français en question étant, bien sûr, Napoléon) marque douloureusement la ville et la région.
Vers 1830, Barcelone développe l'industrie du liège tandis que la viticulture prend son essor, avant que les guerres dites « carlistes » ne freinent une nouvelle fois le développement économique de la région.
Les « carlistes», ce sont les partisans de Charles de Bourbon, qui se proclame héritier de son frère Ferdinand VII, puisque celui-ci n’a qu’une fille, Isabelle. À la mort du roi, la guerre civile éclate, les carlistes contre les pro-isabelliens. Il faut attendre 1839 pour que les droits de la reine soient officiellement reconnus.
... et misère ouvrière
L'industrialisation de la Catalogne reprend son essor, on importe d'Angleterre de nouvelles machines à tisser, les machines à vapeur prennent le relais des chevaux. Mais on vit très mal dans les quartiers populaires. Les salaires ont beau être plus élevés qu’à Madrid, les ouvriers vivent dans des logements insalubres et exigus, les enfants sont mal nourris et mal soignés : les multiples révoltes qui éclatent régulièrement sont généralement réprimées dans le sang.
En 1843, Barcelone sera bombardée du haut de la colline de Montjuïc après plus de 2 mois de grèves et de manifestations menées entre autres par les anarchistes.
À côté de cela, les industriels comme Eusebi Güell, le mécène de Gaudí, tentent d'inventer des systèmes un peu plus humains, quoique très paternalistes, pour les ouvriers. Ils créent des colònies industrials. Celle de Güell est située à Santa Coloma de Cervelló, sur les rives du Llobregat, et a été construite en partie par Gaudí. L’usine, les maisons des ouvriers, l’église, l’école et la maison du directeur sont réunies à l’intérieur d’une même enceinte, et les enfants bénéficient d’un enseignement gratuit.
Extension et Exposition universelle
Au milieu du XIXe siècle, la superficie de Barcelone était de 427 ha tandis que Paris s’étendait sur 7 802 ha et Londres sur 31 685 ha. La population augmentant de 28 % par an, le problème de l’habitat devint une effrayante réalité sociale. Les gens vivaient entassés dans des taudis insalubres. Il fallait d’urgence agrandir la ville. Comment ?
Un concours destiné à ébaucher les plans futurs de la ville est ouvert en 1859. C’est finalement le projet d’Idelfons Cerda qui est retenu pour l’Eixample (l’Extension). Avec son quadrillage régulier, il était, sur le papier, aéré par des jardins publics et des parcs. Hélas, la spéculation immobilière aidant, les espaces verts furent peu à peu grignotés pour faire place à de superbes maisons bourgeoises, parfois de style moderniste.
La ville en profita pour accueillir l’Exposition universelle de 1888, une folie financière qui faillit la laisser sur la paille, Madrid ayant accordé une subvention dérisoire à sa vieille rivale. L’avingunda del Paral-lel, le monument à la gloire de Christophe Colomb, et l’arc de triomphe sont édifiés à cette époque.
La Renaixença
Sur cette lancée, Barcelone va mieux : elle exporte du vin et du liège un peu partout dans le monde. Et investit les bénéfices dans l'industrie textile, qui devient le moteur de l'économie catalane.
Mais, surtout, un mouvement littéraire et social naît au milieu du XIXe siècle : la Renaixença, en même temps que le romantisme européen. Il verra fleurir des poèmes, des journaux et des magazines écrits en catalan, les intellectuels donnant ses lettres de noblesse à une langue qui n'était jusque-là que parlée, car interdite dans l'enseignement et l'administration. C'est le réveil de la « catalanitude ».
Le mouvement se veut social, allant de pair avec l'émergence de syndicats. C'est aussi la naissance du modernisme, ce mouvement artistique dont Barcelone a été le plus beau théâtre.
Anarchie, grèves et coup d'État
Il semble que les Catalans aient été séduits par leurs thèses, bien plus que par celles des socialistes : leur volonté d’autonomie trouvait un écho dans le projet anarchiste de municipalités indépendantes et souveraines. Jusqu’au début du XXe siècle, la ville sera le théâtre d’attentats anarchistes : on la surnomme même la « Rose de Feu » à cause des explosions et bombes en tout genre. Précisons qu’il faudra attendre 1907 pour que la journée de travail des femmes soit réduite à 11h et que l’emploi des enfants de moins de 10 ans soit interdit.
Le prolétariat de Barcelone augmente : la ville passe de 115 000 habitants en 1800 à 500 000 en 1900, accueillant les paysans pauvres de Catalogne et d’autres régions d’Espagne, sans compter les quelques immigrants de Cuba et Porto Rico dépossédés par les États-Unis qui s’étaient emparés des dernières colonies espagnoles.
En 1909, Madrid décidant une nouvelle mobilisation des Barcelonais pour aller rétablir l'ordre au Maroc, le peuple se révolte et c'est la Semana trágica (« Semaine tragique ») : des dizaines d'édifices religieux sont saccagés, et plusieurs ouvriers exécutés en représailles.
En 1914 est créée la mancomunitat de Catalunya, qui réunit les 4 provinces catalanes, un parlement sans pouvoir réel mais qui exige néanmoins la création d'un État catalan au sein d'une fédération espagnole. Des grèves terribles éclatent dans les années 1919-1920, à tel point que l'état de guerre est déclaré à Barcelone et que 229 personnes y trouvent la mort.
Le coup d'État du capitaine général de Catalogne, Miguel Primo de Rivera, impose une dictature de 7 ans à l'Espagne tout entière. Il interdit la mancomunitat, le puissant syndicat anarchiste CNT, et même le football-club de Barcelone (!), trop symbolique. C'est lui qui appuie la candidature de la ville pour accueillir une nouvelle Exposition universelle, qui a lieu à Montjuïc en 1929. L’effarant Palau nacional, édifice néoclassique immense et pompeux, est édifié en un temps record pour accueillir les cérémonies d’ouverture. On en fera plus tard le museu nacional d’Art de Catalunya.
La guerre civile espagnole
À la chute de Rivera en 1930, et après la formation de la 2de république d'Espagne en 1931, les nationalistes catalans de gauche (ERC), conduits par Francesc Macià, un personnage populaire et charismatique surnommé Avi (« Grand-Papa ») par les Catalans, et Lluís Companys, proclament la république de Catalogne ! Un nouveau gouvernement régional, la Generalitat, est créé.
Mais il s'agit d'un monstre de papier. Madrid tient encore les rênes du pouvoir. Ce n'est pas encore, loin s'en faut, l'autonomie tant désirée. À la mort du président Macià, c'est Lluís Companys qui lui succède et proclame à nouveau l'État catalan de la fédération espagnole. Madrid répond en condamnant les membres de la Generalitat à 35 ans de prison...
Lorsque le Frente popular remporte les élections, en 1936, la Generalitat est restaurée, et les prisonniers libérés : la Catalogne bénéficie, pour peu de temps, d'une réelle autonomie.
Mais Franco, qui a soulevé l'armée d'Afrique au Maroc, et rallié à lui nombre de places militaires en Espagne, étouffe ce fragile espoir. En mars 1938, les nationalistes franquistes lancent une offensive en Aragon, et le front de l'Èbre devient le théâtre de batailles sanglantes et atroces. Mal armées, mal équipées, les forces catalanes en déroute abandonnent la ville fin 1938 aux nationalistes.
L'ère Franco
200 000 Catalans choisissent l'exil, près de 200 000 autres sont tués lors d'une impitoyable répression. Companys, réfugié en France, sera livré aux autorités espagnoles par la Gestapo et fusillé sur la colline de Montjuïc.
L'ère Franco signifie un sévère tour de vis pour les Catalans : le catalan est banni des écoles, interdit dans la rue ; même la sardane est prohibée. Toutefois, les Catalans ne sont pas tous hostiles au régime franquiste : de nombreuses familles de la bourgeoisie adoptent le castillan, et l'Église coopère le plus souvent. Parmi les opposants, le docteur Jordi Pujol, emprisonné en 1960 pour avoir chanté un air catalan au cours d’une visite de Franco à Barcelone. 3 ans plus tard, il fonde une banque pour soutenir l’économie catalane.
Pendant les dernières années du régime franquiste, l'opposition s'organise : l'assemblea de Catalunya est créée en 1971. Les militants, nombreux et actifs, se réunissent pour scander « Amnistie, Liberté, Autonomie » et chanter à pleins poumons la chanson de Lluís Llach, L’Estaca (« Le Pieu »). Mais c'est la maladie, et non les opposants, qui aura raison du vieux dictateur : il s'éteint le 20 novembre 1975.
Les Jeux olympiques, une révolution
Le 2d événement qui va bouleverser la vie des Catalans a lieu 7 ans plus tard. En 1982, Barcelone est choisie pour accueillir les Jeux olympiques de 1992. Pour la ville, c’est l’occasion de se faire connaître des investisseurs, de construire des hôtels et d’améliorer ses infrastructures. Le slogan Barcelona, posa’t guapa (« Barcelone, fais-toi belle ») s’affiche partout, et la ville tout entière résonne de coups de truelle et de marteaux-piqueurs. Elle ravale ses façades, nettoie ses rues, ses plages, réorganise et agrandit son port. Comme une cocotte sans couvercle, la métropole bouillonne d’une intense activité culturelle et artistique.
Autre conséquence des Jeux olympiques : le développement du tourisme. Durant 15 jours, Barcelone s’offre une vitrine médiatique inégalable. Les images de fête retransmises à travers le monde entier suffisent alors à en faire en quelques années une destination touristique urbaine incontournable, au même titre que Londres, Florence ou Amsterdam. Depuis, la capitale catalane continue d’exprimer son dynamisme au travers de nombreuses manifestations.
L'autonomie
Aujourd'hui, l'Espagne est divisée en 17 « régions et nationalités autonomes » (comunidades autónomas) qui disposent, grâce notamment à la pression des Basques et des Catalans, du droit de se gouverner. Si le gouvernement autonome de la Catalogne (la Generalitat) a les mains libres pour la culture, l'urbanisme, le commerce, le tourisme et les affaires sociales, il partage le pouvoir en ce qui concerne les transports et l'énergie, par exemple. Il perçoit directement des impôts spécifiques, plus un tiers de l'impôt sur le revenu auprès de l'État. Une autonomie encore renforcée par l'adoption par référendum, en 2006, d'un nouveau statut.
Mais cette autonomie a encore franchi un pas avec la création de l'eurorégion Pyrénées-Méditerranée regroupant les régions Occitanie, Catalogne et les îles Baléares.
La signature en 2008 de la convention du Groupement européen de coopération territoriale permet même, désormais, à la Catalogne de mettre en œuvre des projets de coopération territoriale cofinancés par l’Union européenne. L’un des exemples les plus marquants est la création du premier eurocampus. Plus de 510 000 étudiants, répartis dans 22 universités, bénéficient d’une synergie commune, unique en Europe. Une belle auberge espagnole !.
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