Mexique-Etats-Unis, sur la route de la frontière
David et Goliath
Ils viennent surtout du Chiapas, ou d'autres régions très pauvres du Mexique. Le désespoir fait homme… Là-bas, ils gagnent peut-être 5 $ par jour. Ce qu'ils pourront obtenir en une heure de l'autre côté. Alors ils prennent tous les risques : laisser leur famille, traverser le désert, risquer d'avoir dépensé jusqu'à 3 000 $ pour rester finalement au Mexique. S'ils ne passent pas cette fois-ci, ils retenteront leur chance. Jusqu'à ce que ça marche, et qu'ils puissent enfin rejoindre le patron qui les attend pour les faire travailler, qui dans la construction à New York, qui dans les champs en Oregon… Altar, ce n'est pas vraiment le Mexique, bien sûr. Le village vit uniquement de ces compatriotes qui veulent partir. Taxis, épiciers, " chambres d'hôtes " qui entassent les migrants en partance dans des chambres qui n'en sont pas, vrais guides de frontière ou coyotes mal intentionnés, plusieurs milliers d'habitants vivent ou survivent grâce au business de la migration. Un pollo (poulet, traduction littérale) comme Jésus, qui conduit les migrants à la bordure de la frontière, peut se faire 200 $ par jour. Facile, à 10 $ la course… Eusebio, serveur dans un restaurant, dit gagner 300 $ par mois : " pas terrible "…, mais pas mal pour un salaire mexicain. On n'en saura pas autant pour les coyotes et autres guides qui accompagnent leurs frères de l'autre côté et qui refusent de nous parler. Ce n'est pas vraiment le Mexique, et pourtant… Cela nous apparaît quand même comme la quintessence d'un pays qui vit aux crochets de son richissime et gigantesque voisin. Un voisin qui lui a volé des terres, qui se servirait bien dans ses puits de pétrole et qui exploite depuis longtemps ses citoyens dans les usines ou aux champs. " Si demain les Mexicains se mettaient en grève, l'économie américaine s'arrêterait de tourner ", affirme un patron américain. Nous avons entendu beaucoup de choses, ressenti encore davantage, avec l'impression de comprendre un peu mieux ce que tous ces gens étaient en train de vivre. Mais nous avons surtout découvert qu'ils ont tous un boulot qui les attend de l'autre côté de la frontière. Les patrons américains, qui soutiennent Bush et sa politique de restriction de l'immigration, ont besoin de cette main-d'œuvre très bon marché qu'ils pourront exploiter tant qu'ils veulent puisqu'elle est sans-papiers. Sans existence légale. Sans droit. Nous nous sommes aperçues aussi que bon nombre d'entre eux n'ont pas la moindre idée de ce qui les attend durant leur traversée du désert, la chaleur, la soif, la faim. Nous avons réalisé à quel point les Mexicains détestaient les chicanos, " pires que les Américains eux-mêmes ". En réalité, trois quarts des agents de la Border Patrol sont des Mexicains américains, notamment parce qu'ils parlent espagnol et peuvent donc communiquer avec les clandestins. Je resterai marquée par l'image de ces hommes et femmes montant dans les camions des polleros qui les emmènent à la frontière, avec deux gallons d'eau et un minuscule sac à dos pour tout chargement.
Texte : Juliette Serfati
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