S21 et l'humanité sombra...
Le MONDE SELON THE GONZO MAN. Cambodge. Phnom Penh. Parfois, l’étrangeté du monde prend le visage d’une indicible horreur. L’âme du monde pourrait-elle émerger dans ce que l’homme a pu commettre de plus insoutenable ? Je suis revenu deux fois au musée du génocide de Tuol Sleng à Phnom Penh. Le Gonzo y a passé de longues heures. Quelle image proposer de cette horreur absolue ? Le lieu ? Une école, avec ses cocotiers, ses amandiers, son arbre à frangipane, son portique en bois, et sa douce tranquillité. L’histoire ? Le 17 avril 1975, les Khmers rouges s’emparent de Phnom Penh et font évacuer vers les campagnes ses deux millions d’habitants. Leur projet politique : construire un homme nouveau qui émanerait de la campagne. Très vite, le pays se couvre de centres de « rééducation » et de torture. Le plus secret devenu le plus célèbre est le centre de Tuol Sleng appelé S21. Près de 20 000 personnes ont été tuées ici dont 1200 enfants. Le fait d’être arrêté attestait pour le régime de la culpabilité de la personne. La personne devait d’abord avouer puis était exécutée. Si elle mourait avant que l’ordre d’exécution ne soit signé alors ses gardiens étaient eux-mêmes internés et tués. S21 c’est le Auschwitz du sud est-asiatique. Les crimes perpétrés à S21 appartiennent désormais à la mémoire du monde. L’âme du monde serait-elle sa mémoire ? Chaque visiteur de S21 est maintenant le porteur de cette mémoire. Comment traduire en image cette mémoire. Ce qui frappe à S21 c’est l’insoutenable étrangeté du monde. Le contraste entre le calme apparent des choses, la délicieuse lumière qui se dégage du jardin, l’exquis silence qui se porte comme une invitation à la méditation et à la sagesse et l’abomination coupable du lieu. Ne pas rester silencieux pendant qu’il était torturé était une circonstance aggravante pour le prisonnier. S21 exprime l’exquise abomination. C’est cet oxymore que le Gonzo a essayé de traduire par cette image. Une exquise abomination… L’horreur jusqu’au vertige… le vertige du monde et l’humanité sombra…