Bonjour,
Pour ne pas bronzer, d’accord. Par pudeur, certainement. Mais pour ce qui est de la “spécificité culturelle”, je m’inscris en faux. Si specificité culturelle il y a, il faut bien admettre qu’elle est relativement récente, qu’elle ne doit rien à la tradition et qu’elle est très largement d’inspiration occidentale. Il y a un siècle encore, les femmes siamoises, y compris les princesses de sang royal, pouvaient se montrer les seins nus en public, cela ne choquait absolument personne, et c’était même une coutume millénaire dans les campagnes (ce qui ne veut pas dire que les Siamois n’étaient pas pudiques, simplement ils n’avaient pas les mêmes critères de la décence). Quant au bouddhisme souvent invoqué pour expliquer cette frénésie de puritanisme, c’est une interprétation purement politique de la doctrine. Le bouddhisme ne condamne pas les seins nus, et n’a jamais interdit aux femmes de se balader les nénés à l’air, même dans les temples, preuve en est des fresques et statuettes dans de très nombreux wats qui montrent des femmes à la poitrine dénudée. Le Bouddha ne s’en offusque nullement, et même il s’en semble s’en réjouir (ce en quoi il a raison).
Spécificité politique, donc, plutôt que culturelle. Quand la Thaïlande - ou plutôt le Siam, car le pays ne s’est appelé définitivement Thaïlande que le 11 mai 1949 - s’est ouvert à la diplomatie internationale, notamment sous l’impulsion du roi Chulalongkorn, il a reçu les visites de délégations européennes, les très prudes Anglais de l’époque victorienne qui entouraient de linges les pieds de leurs fauteuils, tant la vue d’un pied, fût-il de meuble, était choquante en Angleterre, les non moins prudes Hollandais imprégnés de puritanisme, les Français, un peu plus olé olé, certes, mais finalement bien plus tartuffes, cachez ce sein, etc. Ces Occidentaux bien sapés et pétris de morale judéo-chrétienne, convaincus de la valeur exemplaire de leur civilisation, furent choqués par cette impudeur, le firent savoir et donnèrent des complexes aux Siamois qui, ne voulant pas passer pour des sauvages aux yeux de ces gens si tellement beaucoup civilisés, renoncèrent lentement à leur “spécifité culturelle” pour adopter celle des étrangers. Le coup décisif fut donné par le maréchal Phibun Sonkhram, dictateur fasciste, grand admirateur d’Hitler et de Mussolini, qui, à partir de 1932, promulgua toute une série de lois délirantes qui obligeaient les Siamois à porter des chapeaux, des chaussures, des cravates pour les hommes et des gants pour les femmes, (très élégant, pour travailler dans les rizières), bref, à s’habiller à l’occidentale (le maréchal avait fait ses études supérieures en France, ceci explique peut-être cela). Il y eut d’autres spécificités culturelles qui furent ainsi sacrifiées sur l’autel de ce début de mondialisation. Ainsi, la mode pour les femmes était autrefois d’avoir les ongles très longs, et de se noircir les dents avec un vernis spécial. Une siamoise de la fin du XIXe siècle qui se voulait élégante avait les seins nus, des ongles longs d’au moins 10 centimètres et les dents noires. Aujourd’hui, elle passerait pour une sorcière.
Amusant de voir que la Thaïlande, qui semble avoir toujours un train de retard - ou une formidable force d’inertie - en matière d’évolution des mœurs, reste aujourd’hui farouchement attachée à un code de décence hérité très récemment de l’Occident et complètement artificiel, alors même que les pays occidentaux se dénudent et que les seins nus sur les plages y sont devenus quasiment la norme.
Cordialement.