Shanghai : dans la gueule du dragon chinois
Les collectionneurs privés : âme cachée de Shanghai
Tic-tac, tic-tac, tic-tac… Après la vitesse époustouflante du Maglev, le rythme paisible des horloges anciennes a quelque chose d’apaisant et de rassurant pour un voyageur gagné par l’effervescence de cette ville trépidante. Je rends visite à un collectionneur de vieilles horloges au 193, Duolun Lu, une rue ombragée par des platanes (arbre importé autrefois par les Français), nichée dans le quartier de Hongkou, au nord-est de la ville. Pas de voitures dans ce secteur préservé, des maisons basses et charmantes des années vingt et trente (l’époque des concessions étrangères), dont certaines classées (donc indestructibles), une ribambelle d’échoppes d’antiquités et d’éventaires de brocanteurs : Duolun Lu est une sorte de marché aux puces, loin du tohu-bohu du centre-ville. On entend le cliquetis des pédaliers des vélos, qui se faufilent entre les groupes de promeneurs.
À plus de quatre-vingts ans, Monsieur Liu Guo Ting, ancien directeur d’école, est l’heureux conservateur d’une collection privée d’horloges anciennes. Il en possède une centaine, toutes différentes, fabriquées à la main en Chine et en état de marche. Les horloges, c’est une passion héritée de son père, qu’il a voulu transmettre à son fils Shiaolin, un homme jovial d’une cinquantaine d’années. Durant la révolution culturelle, voyant les gardes rouges jeter sans scrupules les témoins du passé et les antiquités par les fenêtres, Monsieur Liu a eu l’idée de ramasser des horloges et de les cacher sous son lit. Jusqu’en 1980, il a donc vécu dans la crainte d’être découvert et accusé de pratique « bourgeoise et contre-révolutionnaire ». Il a eu de la chance, la police politique ne l’a pas ennuyé. Maintenant, il est reconnu comme un bienfaiteur par l’État. Ironie amère de l’histoire !
Texte : Olivier Page avec l’aide de Marie Page
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