Trek chez les Zafimaniry
Des fenêtres pleines d'enfants
Le lendemain, je gratte avec bonheur quelques piqûres de puces ayant survécu au passage de l'ignoble Cobra. Liva a concocté un excellent petit-déjeuner. Comme hier à l'arrivée, quand un vazaha est là, portes et fenêtres se remplissent d'enfants. Les pieds nus, mal fagotés dans leurs guenilles noircies et trouées de partout, certains grelottent de froid et se dandinent continuellement pour se réchauffer. D'autres vous dévisagent en vous réclamant un cadeau tout en prenant soin de chuchoter pour ne pas se faire expulser de la fenêtre par les porteurs. D'autres encore vous observent placidement, sans bouger ni rien demander, comme s'ils ignoraient soudain la rudesse du climat, simplement curieux ou ayant suivi le mouvement en s'agglutinant à la porte d'entrée à la frontière du feu et du froid.
Ici, les enfants semblent former une population à part entière tant ils se ressemblent, se rassemblent et se mêlent entre eux facilement. Une fois dehors, une tête apparaît soudain à la fenêtre d'une maison, tel l'oiseau du coucou suisse, vite surmontée par celles de la grande sœur, du petit frère, puis celle de la mère venue observer elle aussi dans la cohue générale le vazaha qui rôde dans les ruelles boueuses avec son appareil photo. À chaque tentative de cliché, c'est la panique. Certains s'enfuient, d'autres restent par défi, mais tous ont besoin d'être un tant soit peu apprivoisés avant d'accepter de figurer dans le boîtier métallique du Blanc en embuscade.
Lorsque je montre le résultat de mon cliché sur l'écran numérique, c'est la bousculade suivie d'une explosion de rires et de joie. Le nom de l'heureux élu est jeté en pâture aux rires de l'assistance, tandis que celui-ci se sent soudainement intimidé, parfois confondu, comme projeté dans le doute. En visualisant immédiatement le résultat, une mutation s'opère cependant dans son esprit. Comme dans une chasse au prisonnier, celui qui est capturé n'a plus tout à fait peur, il devient l'acteur et le héros involontaire du jeu et la photo suivante devient plus facile à faire.
Dans le village d'Antetezandrotra à une heure et quart de marche à l'ouest de Sakaivo, chez l'instituteur parlant un français remarquable, sculpteur sur bois et guitariste à ses heures, je repérerai le regard perdu et digne à la fois d'une petite fille enveloppée dans son lamba et adossée à un mur totalement lépreux. Foin des discours sur l'innocence du monde et sur celle des enfants, j'eus soudain l'impression de me retrouver en face d'une prima donna zafimaniry que je baptisais aussitôt dans ma tête « la petite Joconde d'Antetezandrotra ». Je n'ai même pas pensé à lui demander son prénom tant mon admiration était grande.
- Introduction
- On dit que…
- Le pays zafimaniry commence derrière les boutiques
- C'est jour de marché à Antoetra
- Les fameuses chaises en palissandre
- Accroche-toi, vazaha !
- L'école, seule construction en dur de Sakaivo Nord
- La cosmogonie malgache
- Plaisirs terrestres et attaque de Cobra
- Gaston, porteur royal
- Des fenêtres pleines d'enfants
- Faliarivo, bientôt classé par l'Unesco
- Be, Pinocchio zafimaniry
- M. Ralaibia, le tangalamena du village
Texte : Fabrice de Lestang
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