Attendue depuis un an et demi, l’enquête nationale sur les classes moyennes est enfin livrée. Principal constat : nos ménages moyens sont… pauvres.
Cliché presque type de personnages attablés dans un café : Fouad, cadre bancaire, Ahmed, médecin à l’hôpital public, et Karim, fonctionnaire. Les trois se considèrent comme de la classe moyenne : un salaire mensuel situé en 10 000 et 20 000 DH, un logement en copropriété acheté à crédit et une voiture acquise grâce à la LOA (location avec option d’achat). Mais, selon l’enquête du Haut
commissariat au plan (HCP) sur les classes moyennes au Maroc, rendue publique cette semaine, il n’en est rien. Les trois amis, qui ont pourtant l’habitude des fins de mois difficiles, font partie des 13 % de Marocains considérés comme aisés par l’étude du HCP. C’est le serveur du café, avec un revenu de 4000 DH, pourboires compris, qui fait partie de la classe moyenne. Et comme lui, 53% de Marocains composent cette catégorie dont les revenus sont situés entre 2800 et 6763 DH, selon la méthodologie choisie par l’administration d’Ahmed Lahlimi, qui s’appuie sur le revenu mensuel par ménage. Et pour ce faire, l’enquête est partie d’un constat de départ qui fixe le revenu mensuel moyen au royaume à 3500?DH, un chiffre inspiré par une précédente enquête du HCP portant sur le revenu (lire entretien). Sur cette base, la classe moyenne comprend ainsi 16,3 millions de Marocains qui vivent essentiellement en milieu urbain (62,9 %). Il s’agit donc d’une grande famille que le Haut commissariat décompose en trois catégories : la classe moyenne “supérieure” (avec un revenu situé entre 5308 et 6763 DH), l’“intermédiaire” (entre 3500 et 5307 DH) et la classe moyenne “inférieure” (entre 2800 DH et 3500 DH). En dessous, on retrouve la “classe modeste”, selon le jargon des experts du HCP, qui représente 34% de Marocains.
Un train de vie moyen
Les classes moyennes (le HCP préfère parler au pluriel) ont beau être réparties en sous-catégories, elles représentent quasiment les mêmes caractéristiques, souffrant toutes des maux sociaux qui rongent le pays. Par exemple, elles connaissent le plus fort taux de chômage (14% contre 10%, aussi bien chez la classe aisée que modeste). Il n’empêche que les ménages moyens ont le plus de poids économique : ils représentent 44% des revenus au Maroc et près de la moitié des dépenses de consommation, mais peuvent difficilement se permettre des fantaisies. Les deux-tiers de leur consommation sont consacrés à l’alimentation et l’habitat. Ces deux rubriques de dépense augmentent à 75% chez les ménages à revenu modeste, alors que les nantis ne leur consacrent que la moitié de leur consommation. Et pour pouvoir se permettre l’acquisition d’un logement ou d’un moyen de transport, les ménages moyens s’endettent. Ils sont en effet un tiers à avoir contracté un prêt auprès d’un établissement financier. Les crédits à la consommation arrivent en tête (60%), suivis par les crédits immobiliers (25%) et les crédits d’équipement (15%). A signaler que la tendance à l’endettement est plus grande chez les riches, dont 37,5% recourent à des prêts.
Les classes moyennes sont ainsi le miroir de la société marocaine. Le coût et la cherté de la vie ainsi que la sécheresse constituent l’essentiel de leurs préoccupations, selon l’enquête. Le chômage des jeunes, la délinquance, la consommation de drogues et l’insécurité représentent également les soucis majeurs pour ces ménages. Ce n’est donc pas un hasard si le dernier discours du trône de Mohammed VI a insisté sur la nécessité de réhabiliter ces classes moyennes considérées comme le socle de la société, mais qui, jusque-là, étaient à l’écart de la majorité des politiques de développement humain. “D’où l’importance de notre étude qui devrait dégager, dans un deuxième temps, des propositions de politiques sociales et économiques adaptées à cette frange de la population marocaine. Il ne faut pas uniquement connaître la classe moyenne. Il faudrait également, et surtout, la pérenniser”, conclut le Haut commissaire au plan. Gonfler son revenu serait encore mieux…
Entretien. Ahmed Lahlimi*
“Le Maroc est un pays pauvre”
Votre dernière étude s’appuie sur les résultats de l’enquête sur les revenus, jugée incomplète lors de sa publication en 2007. Pourquoi alors partir sur des bases biaisées ?
Au Maroc, il n’y avait aucune donnée scientifique traitant spécialement de la classe moyenne. Il fallait bien partir d’une enquête scientifique, qu’on a affinée à travers des enquêtes de terrain. C’est un travail studieux qui a pris beaucoup de temps. Mais au-delà de la nature statistique de l’enquête, son grand intérêt est de dégager tous les facteurs économiques, sociaux et culturels qui renforcent ou défavorisent ces classes moyennes. Nous allons également mettre au point des simulations pour des scénarios de politiques de développement ciblant ces classes.
Votre enquête prend le revenu comme critère alors qu’on retrouve des chômeurs parmi les sondés. N’est-ce pas contradictoire ?
C’est que tout simplement, on se base sur le revenu par ménage. Or, un ménage peutinclure des personnes sans emploi. Actuellement, le chômage est un des problèmes socioéconomiques majeurs dans notre pays, que l’on retrouve chez toutes les classes.
Selon votre enquête, avec un revenu de 7000 DH, on fait partie de la classe aisée. Trouvez-vous cela crédible ?
Il ne faut pas oublier qu’une classe moyenne se définit dans le cadre d’une distribution des revenus dans un pays donné. Ses critères diffèrent donc d’un pays à l’autre en fonction du PIB par habitant. Dans un pays pauvre, la classe moyenne est normalement pauvre. Et c’est le cas au Maroc.
(*) Haut commissaire au plan
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