En descendant l'Amazone

Santarém, une ville pour oublier le vacarme du monde

Santarém, une ville pour oublier le vacarme du monde
Olivier Page

Il y a des villes où l'on se sent presque ridicule d'arriver en voiture ou en avion. Débarquer au port de Santarém vers 4 h du matin après un long voyage fluvial est un enchantement pour un voyageur lassé des Airbus et des TGV. Le fleuve et le ciel ne se distinguent plus l'un de l'autre, unis dans la même pénombre nocturne. Une sirène de brume perce le silence étrange de l'aurore grise qui pointe. Un faisceau lumineux inquiet, venu d'un bateau inconnu balaie soudain la nuit et éclaire le quai encore vide comme pour y chercher âme qui vive.

Quelques minutes plus tard, tout a changé, et voilà le même quai envahi par une ribambelle grouillante de dockers torse nu, un capharnaüm de porteurs affairés et de commissionnaires ployant sous le poids des cartons et des caisses. C'est ainsi qu'il faudrait toujours voyager, débarquer juste avant que le soleil redoutable ne se montre. Le moment propice, ça existe aussi en voyage. Les Grecs anciens avaient même créé une divinité pour célébrer cet instant idéal : le Kairos. On devrait arriver dans tous les ports du monde, à l'aube, et en bateau.

À Santarém, je ne la vois pas, mais je devine la forêt ténébreuse, impériale et dévorante (bien que dévorée elle-même par des forestiers sans scrupules) qui dort là-bas, à quelques kilomètres, telle une créature d'outre-tombe, derrière la fragile barrière de l'agitation urbaine. Santarém, quel beau nom ! Encore une cité fluviale de pionniers, endormie sous l'équateur. Les Portugais la fondèrent autrefois sur la rive droite de l'Amazone, au confluent du rio Tapajos, entre Belém et Manaus. À l'époque, chaque kilomètre gagné sur la sauvagerie était considéré par le roi du Portugal comme un acte de bravoure. Au détriment des peuples Indiens bien souvent !

Quelques vieilles maisons de l'époque coloniale, des rues larges, des chemins de terre rouge, une vie citadine indolente et modeste, rien de superflu ici, une ville selon la nature, encerclée par la jungle, si différente des autres villes du Brésil, plus rustique que Manaus, plus secrète que Belém, un village comparé à Rio, un hameau de brousse au regard de São Paulo. À Santarém, on se sent tellement loin du reste de l'univers, qu'on se demande si ce n'est pas l'endroit idéal pour se retirer définitivement du monde, en cas d'apocalypse nucléaire. Ça ne vaudrait certes pas le coup de s'y implanter après une défaite électorale. C'est une ville pour se cacher, pour fuir la sottise et la méchanceté humaine, aurait dit Jean-Jacques Rousseau, un lieu pour disparaître une fois pour toutes, et ne plus donner signe de vie. Une ville comme une île déserte pour naufragés heureux de l'être.

Mon voisin de cabine a une cinquantaine d'années : cheveux frisés poivre et sel à la façon des bustes sculptés de la Grèce antique. Il est journaliste à la télévision et à la radio locale. À ses heures libres, il officie même comme disc-jockey dans les dancings de la région et il écrit, compose, interprète, enregistre des chansons romantiques de son cru. Un Julio Iglesias des Amazones en somme ! Ce voyageur rayonnant de joie et de jovialité intelligente n'est-il pas rentré chez lui (il habite à Santarém) après trois semaines de reportage en Amazonie ? Pour son travail, il a bel et bien parcouru des milliers de kilomètres sur l'Amazone et ses innombrables affluents. Dans cette partie du Brésil, le seul moyen pour accéder aux villages des caboclos reste le bateau, rien que lui. À moins d'avoir une avionnette ou un petit hydravion, mais toute cette technologie volante coûte très, très cher.

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Texte : Olivier Page

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