En descendant l'Amazone
Le goût du pirarucu
Au dîner ce soir : du pirarucu. C'est le plus grand poisson de l'Amazonie. Cette énorme murène d'eau douce peut atteindre 4 m de long et peser jusqu'à 200 kg. Il possède de belles marbrures brunes. Sa langue est tellement dure que c'est dessus que l'on râpe le bâton de guarana pour en extraire la poudre. Ses écailles servent de lime à ongles aux Indiens. Dans les années 1970, on en trouvait aux environs de Manaus. Aujourd'hui, il faut aller à 200 km de cette ville pour en apercevoir (et en pêcher). Au marché de Manaus, j'avais observé la dentelure acérée du piranha et dans un resto spécialisé, j'y avais goûté. Je préfère le pirarucu. Il y a aussi le tucunaré. Mais on ne va pas se battre, il y a de la place pour tous dans le fleuve !
Il fait nuit noire maintenant et la température a baissé. Pas un seul moustique en vue. Pourquoi ? Francisca, notre guide, nous donne l'explication. Le rio Negro est une zone sans moustiques (donc sans risque de malaria), car les eaux acides du fleuve déplaisent à ces redoutables insectes. C'est un cas isolé. Cependant, partout ailleurs en Amazonie, les moustiques sévissent et le paludisme est omniprésent.
À l'aide d'une barque à moteur, basse et effilée, nous longeons la mangrove, cette bordure mi-terrestre, mi-aquatique, entre la forêt et le fleuve. Il s'agit d'un univers végétal dense, obscur et humide, un fouillis de plantes lascives et d'arbustes aux racines noueuses, qui s'enlacent, s'emmêlent à l'infini dans un labyrinthe impénétrable sans cesse menacé par les crues.
Le pilote descend et fait quelques pas sur de la terre sablonneuse. Le faisceau de sa lampe éclaire un petit caïman qui semble imperturbable. Il le saisit par la nuque et la queue, puis nous le présente : l'animal hérissé d'aspérités est un petit cousin du crocodile. La nuit se passe au premier étage du bateau, une sorte de pont à claire-voie, ouvert à la brise, qui permet de profiter de la relative fraîcheur de la nuit. Un orage éclate. Des éclairs lointains zèbrent le ciel noir. Le bateau a été amarré sur la berge près d'une petite plage de sable fin (il y en a), à l'abri du flot noirâtre du rio Negro. À côté de nous, un autre bateau, du même style et du même gabarit, abrite une équipe de chercheurs scandinaves. Employés d'un grand laboratoire européen de renommée mondiale, ils étudient jour et nuit les poissons, les insectes, les plantes et les arbres d'Amazonie pour y trouver les remèdes possibles à des maladies.
Inutile de se plier en quatre pour dormir dans un hamac : il faut suivre l'exemple des autochtones qui s'y étendent de travers et se laissent bercer par le tangage du bateau. J'ai quand même l'impression d'être un long saucisson serré dans son filet de protection.
- Introduction
- À la recherche du royaume d'Eldorado et du pays de la Cannelle
- Le génie des voyages fluviaux
- La rencontre des eaux
- Manaus, ville des rêves fiévreux
- Vive le bateau-hamac !
- Le goût du pirarucu
- Le plus grand laboratoire à ciel ouvert
- La forêt amazonienne
- Un rabelaisien sur le rio Negro
- La descente de l'Amazone
- Santarém, une ville pour oublier le vacarme du monde
- L'histoire de Leonidas Saunier Martins
- P'tites adresses
- Infos pratiques
Texte : Olivier Page
Mise en ligne :