En descendant l'Amazone
La rencontre des eaux
À 8 km en aval de Manaus, première découverte : le rio Negro aux eaux sombres (d'où son nom, negro signifiant noir en portugais) se jette dans le Solimoes, aux eaux jaunes et limoneuses. La confluence de ses deux titans aquatiques donne naissance à l'Amazone, qui prend alors pour de bon son nom légendaire.
La rencontre est difficile, car les eaux de l'un et de l'autre refusent de se mélanger. Un phénomène étrange se produit, comme dans un mariage forcé : les époux ne veulent pas s'unir. Les eaux ne fusionnent pas, elles continuent à couler côte à côte, comme deux bandes liquides juxtaposées - l'une fait songer à de l'encre noire, l'autre à du café au lait - sur plusieurs dizaines de kilomètres en s'ignorant superbement.
La science explique cette bizarrerie de la nature par la différence de rapidité, de densité et de température entre les deux cours d'eau. L'Amazone coule à environ 8 km/h et le rio Negro à 3 km/h : le flot rapide arrête le flot lent. Résultat : les eaux de l'un paraissent « glisser » contre celles de l'autre. Deuxième constat, les eaux de l'Amazone sont entre 20 et 22 C° alors que celles du rio Negro, beaucoup plus chaudes, oscillent entre 28 et 35 C°. Bref, la naissance du géant des fleuves se fait dans une confusion, une confrontation déroutante.
La silhouette de mon bateau fait songer à une réplique en plus petit d'un navire pour film d'aventure. Qui n'a pas en tête les images du film de Werner Herzog Fitzcarraldo dans lequel Klaus Kinski, aventurier exalté, remonte en bateau à vapeur des rivières interminables, assaillies par la jungle ténébreuse, tandis qu'un gramophone grésillant diffuse des chants de Caruso ? Comment ne pas penser à Charles-Marie de La Condamine, scientifique français du XVIIIe siècle qui découvrit le caoutchouc en Amazonie et le présenta pour la première fois aux Français ?
Ancien soldat devenu académicien à 29 ans, envoyé au Pérou par le roi afin d'y mesurer la taille de la terre, La Condamine retourna en France en mai 1743, après plus de dix ans passés en Amérique du Sud. Il choisit alors de descendre l'Amazone sur une sorte de radeau bricolé, contenant tout son matériel scientifique, partant de Jaen au Pérou pour atteindre Para (aujourd'hui Belém) à l'embouchure du fleuve, effectuant un périple de plus de 5 000 km en près de six mois. Sur la foi du récit de Carvajal, et deux siècles plus tard, La Condamine se renseigna sur la légende des Amazones et les chercha, mais en vain. D'après son récit de voyage, le 23 août 1743, il s'arrête sur les rives du rio Negro, auprès de quelques huttes habitées par des Indiens Manaos. Au même emplacement aujourd'hui s'étend une grande ville de plus d'un million d'habitants : Manaus.
- Introduction
- À la recherche du royaume d'Eldorado et du pays de la Cannelle
- Le génie des voyages fluviaux
- La rencontre des eaux
- Manaus, ville des rêves fiévreux
- Vive le bateau-hamac !
- Le goût du pirarucu
- Le plus grand laboratoire à ciel ouvert
- La forêt amazonienne
- Un rabelaisien sur le rio Negro
- La descente de l'Amazone
- Santarém, une ville pour oublier le vacarme du monde
- L'histoire de Leonidas Saunier Martins
- P'tites adresses
- Infos pratiques
Texte : Olivier Page
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